Feuilles volantes découvertes insérées entre la deuxième et la troisième partie de Cendres : l’Histoire oubliée de la Bourgogne (Ratcliff, 2001), British Library.

Message n° 19

(Pierce Ratcliff)

Objet : Cendres

Date : 6/11/00 10 : 10

De : Longman@

Format, adresse et autres détails effacés et irrécupérables

Pierce –

LE SOLEIL S’ÉTEINT ?????

Et vous, vous êtes OÙ ?

— Anna

Message n° 22

(Anna Longman)

Objet : Cendres

Date : 6/11/00 18 : 30

De : Ratcliff@

Format, adresse et autres détails effacés et irrécupérables

Anna –

Je suis coincé dans une chambre d’hôtel à Tunis. Un des jeunes assistants d’Isobel Napier-Grant me montre comment on retire et on envoie des e-mails par le système téléphonique local – l’opération n’est pas aussi facile que vous pourriez l’imaginer. Le camion ne se rendra pas sur le site avant ce soir, sous le couvert de l’obscurité. Les équipes archéologiques sont parfois de vrais fanatiques en matière de sécurité. Je n’en veux absolument pas à Isobel, si elle a ce qu’elle dit qu’elle a.

J’avais espéré, quand elle m’a dit qu’elle venait ici, qu’elle pourrait trouver des éléments de confirmation – c’était si peu probable, d’ailleurs, ne fût-ce qu’un fragment de poterie, avec les centaines de kilomètres carrés à fouiller –, mais LÀ !

« Le soleil s’éteint. » Oui, bien entendu. Pour autant que j’ai pu l’établir, il n’y a pas vraiment eu d’éclipse visible en Europe en 1475 ou 1476 – le mieux que j’ai pu trouver est celle du 25 février 1476, à Pskov, mais ça se trouve en Russie ! Cependant, les chroniqueurs ultérieurs ont sûrement estimé irrésistible cette liberté poétique. Je dois dire que je suis d’accord avec eux.

— Pierce

Message n° 20

(Pierce Ratcliff)

Objet : Cendres, cadre historique

Date : 6/11/00 18 : 44

De : Longman@

Format, adresse et autres détails effacés et irrécupérables

Pierce –

SAUF QUE !!! J’ai effectué des recherches, Pierce. Les seules guerres dont je trouve la trace pendant toute la période 1476-1477, ce sont les tentatives effectuées par Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, pour conquérir la Lorraine, et unifier son « royaume du Milieu » sur toute l’Europe. Ensuite vient sa défaite face aux Suisses devant Nancy ; et la hâte indécente avec laquelle ses ennemis se sont partagé la Bourgogne, à sa mort. Il y a les guerres habituelles entre les cités États italiennes, mais c’est tout ; il n’y a *rien* sur l’Afrique du Nord !

Ne venez pas me raconter que c’est du racisme historique euro centrique ! Une invasion de l’Italie et de la Suisse, ça représente quand même un GROS morceau à passer sous silence ?

*Je le répète encore une fois, Pierce : C’EST QUOI, CETTE INVASION WISIGOTHE ???!!! *

— Anna

Message n° 23 (Anna Longman)

Sujet : Cendres

Date : 6/11/00 19 : 07

De : Ratcliff@

Format, adresse et autres détails effacés et irrécupérables

Anna –

Je vous avais prévenue que FRAXINUS vous obligerait à réévaluer notre histoire.

Très bien :

J’ai l’intention de prouver que la colonie wisigothe nord-africaine, à une période située approximativement entre 1475 et 1477, a BEL ET BIEN monté une invasion militaire du sud de l’Europe.

Je vais déclarer que l’intérêt des contemporains pour cette attaque s’est perdu dans le vent de panique qui a suivi la mort de Charles le Téméraire au combat en 1477. C’était sans doute tout naturel.

Que les historiens ultérieurs continuent à ignorer cet épisode est dû – vais-je oser le dire ? – à une prédominance d’universitaires blancs, masculins de classe moyenne, qui refusent de croire que l’Europe occidentale puisse être mise en péril par l’Afrique ? Et qu’une civilisation issue d’un brassage de races puisse se révéler militairement supérieure à la chrétienté occidentale blanche ?

— Pierce

Message n° 21

(Pierce Ratcliff)

Objet : Cendres, cadre historique

Date : 6/11/00 19 : 36

De : Longman@

Format, adresse et autres détails effacés et irrécupérables

Pierce –

Le problème avec cette histoire, c’est toujours que le texte nous parle d’une invasion de l’Europe en 1476 et que même les Turcs n’ont JAMAIS VRAIMENT RÉUSSI UNE INVASION !!! Je sais, vous allez me dire que, selon votre théorie actuelle, Cendres combat vos « Wisigoths » médiévaux nord-africains. Alors POURQUOI N’EN PARLE-T-ON NULLE PART DANS MES LIVRES D’HISTOIRE ?

— Anna

Message n° 24

(Anna Longman)

Objet : Wisigoths

Date : 7/11/00 17 : 23

De : Ngrant@

Format, adresse et autres détails effacés et irrécupérables

Anna –

Je suis sur le site !

Le Pr Napier-Grant m’a aimablement autorisé à utiliser son PC portable avec liaison satellite. Il y a tant à raconter que je n’ai pas pu attendre pour essayer de passer un coup de fil, les liaisons par ici sont une catastrophe. Isobel (pardon, je parle du Dr N. – G., au cas où vous auriez oublié), Isobel m’a dit que je pouvais vous expliquer un peu, mais elle ne veut pas que la rumeur se répande, parce que si quelqu’un d’autre lit ce message, elle se retrouvera avec tous les archéologues entre ici et le Pôle Nord sur le pas de sa porte. Ceux qui ne sont pas déjà arrivés.

Je sais que je ne devrais pas dire ça, mais il fait chaud, ça sent mauvais et les seuls moments où c’est supportable sont ceux où nous nous trouvons sur les fouilles proprement dites – fouilles dont je ne vais *pas* vous révéler l’emplacement, évidemment !!! Qu’il suffise de dire que nous nous trouvons très près de la côte septentrionale de cette région de Tunisie (il y a des montagnes à l’horizon sud, elles m’évoquent la glace et le froid, et des endroits où l’on n’est pas obligé de rester à l’ombre entre une heure et cinq heures de l’après-midi !) Bon, lire ce genre de considérations ne vous intéresse pas, mais je ne peux pas vous raconter ce que je voudrais, et j’en meurs d’envie.

Isobel me dit que, puisque vous êtes à deux doigts d’annuler le bouquin, je *peux* vous révéler quelques éléments. C’est une femme merveilleuse. Je la connais depuis Oxford. C’est la dernière personne que j’imaginerais voir s’enthousiasmer sans raison valable. Il suffit de regarder ses cheveux courts et ses chaussures pratiques. (Non, il n’y a rien eu entre nous. J’aurais aimé. Mais ça n’intéressait pas Isobel.) Et depuis vingt-quatre heures que je suis arrivé ici, elle trépigne sur place comme une écolière ! L’affaire *pourrait* encore s’avérer n’être que de nouveaux carnets secrets d’Hitler, mais ça m’étonnerait.

Ce que nous avons découvert ? (Pas « nous », bien sûr. Isobel et son extraordinaire équipe.)

Nous avons trouvé des golems.

Exactement comme le texte les décrit ! « Des golems messagers ». Un entier, et les fragments d’un autre. Vous vous souvenez, je vous avais dit que la mécanique arabe médiévale était tout à fait capable de construire des fontaines chantantes, des oiseaux mécaniques qui battent des ailes, et tout ce genre de babioles post-romaines ? Parfait :

Les manuscrits CENDRES décrivent toujours les « marcheurs d’argile », « robots » ou « golems » comme étant des représentations d’hommes mécaniques *mobiles*. C’est une absurdité totale, évidemment. Construire des robots au XVe siècle ! Vous imaginez ? Un genre de machine ornementale, c’est possible. *Tout juste* possible. Bon, disons, si on est capable de construire des oiseaux chanteurs en métal – ils renfermaient une horlogerie pneumatique ou hydraulique, comme l’indiquent tous les traités romains ; ne me demandez pas les détails, je ne suis pas ingénieur ! – alors, je suppose qu’on pourrait également fabriquer des simulacres d’hommes en métal, comme la Tête en bronze de Roger Bacon, mais complète. Je n’en vois pas l’intérêt.

C’était toujours mon opinion, il y a vingt-quatre heures. Ensuite, il y a eu toute la course afin d’attraper l’avion pour Tunis, de me faire conduire dans une jeep pourrie jusqu’au campement des archéologues, et ensuite Isobel, qui m’a amené jusqu’ici à pied. Il y a des soldats qui gardent le camp, plein de jeeps et de Kalachnikovs, mais ils n’ont pas l’air très alertes – un simple cadeau des autorités locales pour mettre un frein aux menues rapines, je crois. Isobel préférerait en rester là. La dernière chose dont nous avons envie, c’est de voir les militaires débarquer sur le site. On pourrait détruire les vestiges, qui ont environ cinq siècles…

Oui. Isobel les a datés, elle est à peu près sûre qu’ils reposent dans les alluvions depuis plus de quatre cents ans, et cinq cents semblent probables ; ce ne sont pas les curiosités victoriennes que j’avais peur de trouver. Ce sont les golems messagers des textes CENDRES – forme humaine, corps de pierre taillée à échelle normale (le spécimen complet est en marbre italien), avec des jointures de métal articulé aux genoux, aux hanches, aux épaules, aux coudes et aux mains. Les parties en pierre du second se sont brisées, mais les rouages et les engrenages de bronze et d’airain sont complets. *Ce sont bien des golems ! *

Je l’avoue, je ne saisis pas toutes les discussions professionnelles en cours dans l’équipe d’Isobel, ou plutôt je ne comprends pas les détails technologiques. Il y a une *énorme* dispute qui fait rage en ce moment pour savoir si ces découvertes appartiennent à une civilisation médiévale arabe ou européenne – le marbre italien, vous comprenez, même si on exportait du marbre de Carrare à travers toute la Chrétienté, à l’époque, comme j’ai essayé de le dire. J’ai confié à Isobel mon exemplaire des traductions existantes de Cendres, pour indiquer (comme j’allais vous l’expliquer par e-mail) que la civilisation « wisigothe » des textes n’est *pas* purement gothique ibérique, mais plutôt un brassage des civilisations wisigothe, espagnole et arabe.

J’en suis là et je ne vous ai pas encore parlé de la découverte la plus importante, pour l’instant. Vous êtes assise là-bas, à Londres, en train de vous dire : Et alors ? Bon, ils avaient des hommes mécaniques, ainsi que des oiseaux mécaniques, quelle importance ?

Isobel m’a permis d’examiner le golem survivant avec beaucoup d’attention. C’est un détail qui ne doit pas se répandre avant qu’elle soit prête à publier ses découvertes. Il y a des traces d’usure sur les articulations métalliques. Ce n’est pas tout.

Il y a des traces d’usure sur les surfaces de marbre *sous* les pieds.

La pierre est usée sur la plante des pieds et les talons sculptés, exactement comme si ce golem avait marché. Et je dis bien marcher. Comme un homme, comme vous et moi, un homme mécanique de pierre et de bronze, *qui marche*.

Ce que j’ai touché – touché, Anna ! – est exactement ce que les textes CENDRES décrivent comme les marcheurs d’argile des Wisigoths.

Ils sont *réels*.

Je dois libérer l’ordinateur, Isobel en a un besoin urgent. Je vous recontacterai dès que possible. Les traductions des documents de la 3e section se trouvent dans le dossier que je joins à ce message. N’annulez pas mon bouquin !!! Nous tenons peut-être quelque chose de plus énorme qu’on aurait pu l’imaginer.

*Quels* Wisigoths ? HA !!

— Pierce

Message n° 28

(Pierce Ratcliff)

Objet : Cendres, projets médiatiques

Date : 7/11/00 18 : 17

De : Longman@

Format, adresse et autres détails effacés et irrécupérables

Pierce –

Je veux que vous parliez au Pr Napier-Grant, pour la convaincre que vous devez travailler ensemble, et ce, À PARTIR DE MAINTENANT. Mon Directeur général, Jonathan Stanley, est *très* favorable à l’idée de quelque chose comme un projet commun entre vous-même et le Pr Napier-Grant. On dirait qu’elle fait partie de ces grandes excentriques britanniques qui passent remarquablement bien sur le petit écran. J’ai un bon feeling sur la possibilité d’une série télé avec elle, et puis, il y a votre traduction originale de « Cendres » ; et tout ce que vous pourriez réaliser ensemble – un livre sur l’expédition ? Croyez-vous que vous pourriez écrire le texte d’un documentaire sur l’expédition ? Il y a là des possibilités *extraordinaires* !

Je suis certaine qu’on pourrait négocier un accord. Ce n’est pas souvent que je dis ça à mes auteurs universitaires, mais *engagez un agent* ! Vous aurez besoin d’en trouver un qui soit spécialisé dans les droits pour le cinéma et la télé, ainsi que les droits de traduction d’un ouvrage documentaire.

C’est vrai, nous avons toujours un texte qui est moitié légende médiévale, moitié faits historiques (éclipses !) – et je suis abasourdie qu’on ait pu écarter une invasion des manuels d’histoire – et comment ces golems POUVAIENT-ILS BOUGER ?

— mais je ne vois rien là qui s’oppose à un succès d’édition. Discutez avec le Pr Napier-Grant de l’idée d’un projet commun, et recontactez-moi dès que possible !

Avec toutes mes amitiés,

— Anna